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Une Amérique mal en point

Cent mille morts, le bilan le plus lourd de la pandémie. Une récession profonde. Un chômage qui avoisine les 20%. Des milliers de PME sur le carreau. De grandes entreprises au bord de la faillite. Des Etats, municipalités, universités en ruines. Une dette astronomique. Un président qui ne pense qu’à sa réelection. Un climat délétère qui divise les Américains en deux camps. Une image déteriorée aux yeux de la planète. C’est certain, les Etats-Unis sont les grands perdants de la crise.

Ont-ils les moyens de s’en sortir ? 

Maintenant que le virus reflue quelque peu, l’heure est au bilan. Chacun s’aperçoit que l’arrêt brutal des économies était une bombe à retardement. La crise économique et sociale arrive à grands pas et elle sera sévère. On en ressent tout spécialement les conséquences aux Etats-Unis car c’est un pays sans filet social susceptible d’amortir les chocs. 

Les chiffres sont parlants. 38,6 millions d’Américains sont inscrits au chômage et le président de la Fed en personne prévoit un taux de chômage entre 20% et 25% à la fin mai, un chiffre qui excèdera celui de la grande dépression des années ’30. Le nombre d’actifs aux Etats-Unis est passé sous les barre des 50%. Quasiment tous les secteurs sont touchés, sauf la grande distribution. Même le secteur des soins de santé a perdu 1,4 millions de salariés ce qui est paradoxal en pleine crise sanitaire.. 

Certes, une partie de ces chômeurs sera réembauchée lorsque l’économie redémarrera mais personne ne prévoit un retour à la situation d’avant le Covid. Jerome Powell pronostique un taux de chômage à 9,5% à la fin 2020. Pour l’Institut d’économie Becker Friedman de l’université de Chicago, 42% du personnel licencié ne retrouvera pas du travail. Le confinement a donné des idées à certains. Dans les usines, on songe à remplacer des cols bleus par des machines. Quant aux géants du numérique, ils ont découvert les avantages du télétravail – productivité supérieure, réduction des coûts en termes d’espace de bureau et de transports à défrayer - et songent à demander à une partie de leur collaborateurs de rester chez eux, moyennant un salaire raboté pour certains d’entre eux. 

La crise aura raison d’un grand nombre d’entreprises. Hertz, J. Crew, Diamond Offshore, JC Penney, Neiman Marcus ont déposé leur bilan et sont passés sous le chapitre 11 afin de restructurer leurs finances ou de trouver un repreneur. D’autres faillites suivront dans les secteurs du pétrole, du charbon, du tourisme, du transport aérien, des chaînes de restaurants. Un géant comme Boeing sera probablement renfloué par la puissance publique, comme General Motors le fut en 2008. Mais ce seront surtout les milliers de PME qui paieront le tribut le plus lourd. 2% d’entre elles ont déjà mis la clé sous la porte. 15 millions d’Américains travaillent dans la restauration et ce n’est pas demain que l’on retrouvera le plaisir de manger en toute insouciance. La plupart de ces petites entreprises ont un mois ou deux de trésorerie devant elles. Après, c’est l’inconnu. 

Les dégâts sont tout aussi importants dans la sphère publique. Etats, municipalités, universités, hôpitaux publics sont en ruines. La ville de New York déplore un trou de 7 milliards et l’Etat de New York, de 13 milliards. L’Etat de Californie est exangue. Une université comme celle du Michigan a besoin d’un milliard pour surnager. En 2022, le déficit budgétaire des Etats sera d’un demi trillion. Tous réclament une aide de l’Etat fédéral. Le leader de la majorité au sénat Mitch McConnell a déclaré que la faute en revenait aux Etats qui ont mal géré leurs finances et il leur a conseillé de se déclarer en faillite afin de simplifier la restructuration de leurs créances. Comme si la pandémie n’y était pour rien. Les gouverneurs, tel Andrew Cuomo, ont répondu en le traitant de “stupide” et de “mesquin”. 

Le coût exorbitant de la relance ! 

Il y a quelques jours, Jerome Powell, le patron de la Fed, est intervenu en soufflant le chaud et le froid. Il a estimé qu’après avoir atteint un pic en mai, sans doute autour des 20-25%, le chômage devrait commencer à refluer. Il prévoit cependant que la reprise américaine sera plus lente que prévue et ne croit pas au rebond en V auquel Trump s’accroche désespérément. Il craint surtout un effet domino, une spirale descendante, chaque Américain ayant perdu un emploi étant conduit à diminuer ses achats et à précipiter d’autres dans sa culbute.  

Powell a également prévenu que l’économie américaine subirait de longues années de récession si l’administration et le Congrès ne votaient pas le deuxième volet du plan de soutien à l’économie (baptisé phase 4). Mais un certain nombre sénateurs républicains commencent à trouver la note très salée. Le plan de soutien voté en mars avait déjà coûté près de 3 trillions, faisant passer la dette de 21 à 24 trillions. Et il est question de doubler la mise. 

La Chambre des représentants, à majorité démocrate, a voté un package supplémentaire de 3 trillions, incluant notamment 875 milliards d’aide directe aux pouvoirs locaux (Etats, municipalités) mais Mitch McConnell, le leader de la majorité républicaine au Sénat, ne veut pas en entendre parler. Il rechigne aussi à payer un deuxième chèque de 1200 dollars à chaque Américain dans le besoin (ou un deuxième chèque de 6000 dollars à chaque foyer), estimant qu’un nouveau cadeau désinciterait les Américains à chercher du travail. Trump y serait plutôt favorable car il a les yeux rivés sur les élections. Les républicains sont partagés:  certains ne veulent pas dépasser une enveloppe de 1 trillion supplémentaire mais d’autres estiment qu’une aide substantielle est nécessaire. Pour l’instant, on est dans l’impasse. 

Un signe d’espoir, les deux partis pourraient tomber d’accord sur un budget destiné aux grands travaux d’infrastructure (routes, ponts, réseau d’eau, fibres optiques, énergies renouvelables etc). Ce mini New Deal contribuerait à la relance du pays tout en donnant du travail à ceux qui ont perdu leur emploi. 

Elections américaines: rien n’est joué mais Trump doit se faire du souci 

A cinq mois des élections, faire des prévisions n’a pas beaucoup de sens. Bien des événements peuvent survenir d’ici novembre, surtout avec un président qui marche à l’instinct et nous réserve au moins une surprise par jour. Il n’en reste pas moins que Trump est à la traîne dans les sondages. L’avance de Biden pour le vote national varie de 5% (CNN) à 11% (Quinnipiac University). 43% des Américains approuvent Trump mais 53,6% le rejettent. A noter que la même proportion d’Américains approuve ou désapprouve sa gestion de la pandémie, ce qui signifie que les pro-Trump le soutiennent, quoi qu’il fasse. C’est sa personnalité qu’ils apprécient avant tout. En cela, ils constituent un bloc relativement stable et homogène. 

La situation est cependant loin d’être rose pour lui. Trump a perdu des plumes, notamment auprès des seniors, la classe d’âge la plus touchée par la pandémie et qui s’est sentie abandonnée, mais aussi chez les électeurs indépendants. Deux catégories qui avaient contribué à son élection en 2016. Autre point noir: 56,7% des Américains se déclarent très inquiets de l’état de l’économie et 30,6% moyennement inquiets (sondage FiveThirthyEight). Les perspectives d’avenir en termes d’emploi, de pouvoir d’achat et d’épargne les angoissent plus que le virus lui-même. Or Trump a toujours estimé que ses chances de réelection dépendaient de la situation économique. Son credo a toujours été “Jobs, jobs, jobs”. Entretemps, des millions de jobs sont partis en fumée et il n’est pas sûr que la prime du président sortant ou l’appel au patriotisme suffiront à renverser la vapeur. 

C’est sans doute la raison pour laquelle l’Institut Oxford Economics prévoit une défaite cuisante de Trump tant au niveau national qu’au niveau du Collège électoral si l’économie ne rebondit pas fortement. Or 5 mois, c’est très court pour faire redémarrer une économie durement touchée. Raison de plus pour craindre que le président “disrupteur” va tirer une carte de sa manche. Certains observateurs estiment qu’il cherchera un prétexte pour reporter les élections, voire contester ses résultats. Le fait qu’il s’oppose de plus en plus au vote par correspondance – qui permettrait aux seniors et aux catégories sociales désavantagées de voter - et qu’il menace certains gouverneurs de couper l’aide fédérale s’ils soutiennent cette mesure, est un signe qui ne trompe pas. On sait, en effet, qu’un faible taux de participation augmenterait ses chances de gagner. 

L’image globale des Etats-Unis a pris un coup 

L’Amérique n’est plus ce qu’elle était. C’est l’une des principales leçons de la pandémie. Alors que les Etats-Unis avaient la réputation d’être les rois de l’organisation et de la logistique face à l’épreuve, - huit avions sortaient toutes les heures de ses usines d’assemblage lors de la deuxième guerre mondiale, - le monde entier fut le témoin d’un incroyable chaos sanitaire, digne d’un pays sous-développé. “Le Monde a pitié de nous” titrait le New York Times (8 mai). “Nous vivons dans un Etat failli” dénonçait “The Atlantic” (20 avril). Quant au “Financial Times”, il évoquait “l’effondrement” de l’administration américaine face au virus (14 mai). 

Jusqu’au dernier moment, Trump a nié l’ampleur de la catastrophe. Par la suite, il a retourné sa veste mais en faisant de fausses promesses, notamment quant à l’abondance et l’accessibilité des test de dépistage. Il a régulièrement croisé le fer avec les gouverneurs sur la question des équipements médicaux dont ceux-ci avaient un besoin urgent. Il a joué au chat et à la souris avec sa propre taskforce médicale, qu’il a fini par doubler. Il s’est rabattu sur des boucs émissaires (Chine, OMS, gouverneurs, démocrates) pour faire oublier sa propre incompétence. Son manque d’empathie pour les victimes fut absolument criante. Mais Trump n’est pas le seul en cause. Une agence fédérale comme le CDC, censée être aux avant-postes en cas de pandémie, s’est avérée totalement défaillante, ses tests de dépistage n’étant pas en état de fonctionner. Il est vrai que le CDC et d’autres agences sanitaires et scientifiques étaient sous-financées et discréditées depuis l’arrivée au pouvoir de Trump. 

Comme s’il n’avait pas assez sur les bras, Trump a ouvert un nouveau front avec la Chine. On n’hésite plus à parler de guerre froide. Les griefs des Américains (et des Européens) à l’encontre de la Chine sont nombreux et justifiés mais pour Trump, il s’agit avant tout d’un argument électoral. Etant lui-même un facteur de division entre Américains depuis qu’il est au pouvoir, il espère pouvoir les unir contre un ennemi commun. C’est une stratégie dangereuse car une épreuve de force avec la Chine est bien la dernière chose dont ce monde meurti a besoin.