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La 5G arrive. Faut-il en avoir peur ?

En multipliant par 100 le débit moyen de la 4G et en offrant un grand nombre de connexions simultanées, la 5G inaugure l’ère de la société digitale. Un monde où tout communiquera avec tout. Ses effets se feront sentir dans de nombreux domaines : industrie, logistique, transports, énergie, hôpitaux, télétravail. Mais la médaille a des revers: la 5G est énergivore, son déploiement coûte cher et les incertitudes demeurent quant à ses risques pour la santé. Autant d’obstacles qui s’accumulent sur son chemin. Sauf en Chine, où la 5G est déjà une réalité.

En Europe, le développement de la 5G a pris du retard. L’Union européenne s’était pourtant fixée des échéances ambitieuses : d’ici la fin 2020, les fréquences 5G devaient être attribuées dans tous les pays de l’UE et une ville au moins par pays devait disposer d’un embryon de réseau. Nous sommes loin du compte car la crise du Covid est venue chambouler ce calendrier. En février, moins de 7% des fréquences disponibles avaient été allouées au sein de l’UE.  

Pour l’heure, la plupart des pays européens avancent en ordre dispersé. Alors que la Belgique et le Danemark attendront sans doute 2021 avant d’organiser les enchères qui attribueront les fréquences aux opérateurs, les Pays-Bas viennent de les octroyer et la France s’apprête à mettre en vente un deuxième bloc de fréquences en septembre.  

Sur le papier, les acteurs économiques et les décideurs politiques sont intimement persuadés que le passage à la 5G constitue un enjeu économique majeur, qu’il ne faut rater à aucun prix sous peine d’être définitivement largués. La 5G permettra aux entreprises de rester compétitives face à une concurrence globale impitoyable et elle ouvrira la porte à d’innombrables opportunités. La FEB estime qu’elle permettra de créer 36.000 nouveaux emplois en Belgique. A vrai dire, ses retombées sont incalculables, car comme toute avancée technologique décisive, la 5G donnera naissance à un écosystème de nouveaux besoins, produits et services, et de métiers encore inconnus à ce jour. 

Bienvenue dans la société du Gigabyte 

Au plan des performances, la 5G offrira des débits cent fois supérieurs à la 4G, de l’ordre de 1 Gb/s (1 Giga par seconde). Quant aux temps de latence (intervalle entre les données émises et les données reçues), ils seront dix à vingt fois inférieurs, de 1 à 2 millisecondes.  Autre avantage, la 5G multipliera par 10 le nombre d’objets simultanément connectés au réseau. Elle rendra aussi possible la technique du « slicing », c’est-à-dire la capacité de hiérarchiser les transmissions en fonction de leur importance.  

Pour le grand public, la 5G permettra de télécharger instantanément n’importe quel contenu audiovisuel en très haute définition et de profiter pleinement de toutes les possibilités des jeux en ligne. Elle facilitera considérablement la pratique du télétravail et la visioconférence, devenus indispensables durant le confinement et qui seront monnaie courante à l’avenir. Les transmissions via Zoom, Teams ou WhatsApp se feront sans accroc, ce qui accélèrera le développement d’autres activités comme le télé-enseignement ou la télé-médecine, voire la chirurgie à distance. 

Mais c’est surtout du côté de l’industrie, de la logistique, des transports et du secteur de l’énergie que la valeur ajoutée de la 5G se fera pleinement sentir. Songeons aux retombées sur la gestion des grands réseaux (ferroviaire, routier, aérien, maritime, électrique) d’une technologie permettant un très grand nombre de connexions simultanées. Dans les usines automatisées, la 5G remplacera le Wi-Fi ou Ethernet, le sans-fil se substituera au câble. La 5G accélèrera également la transition vers les objets et processus intelligents. La nouvelle génération de « smart grids » permettra d’ajuster les flux électriques en fonction des besoins. Les véhicules autonomes seront pilotés grâce aux données transmises par des capteurs intelligents installés le long des routes.  

Un gouffre à milliards 

Cette vision radieuse ne doit pas occulter les nuages qui s’accumulent à l’horizon car le chemin de la 5G est parsemé d’embûches: financières, technologiques, politiques, environnementales, sanitaires.  

Financières, d’abord. Le déploiement de la 5G nécessite des investissements très importants qui – dans le meilleur des cas – ne seront amortis que peu à peu. En Europe, on estime à 500 milliards les montants qui devront être mobilisés d’ici 2025. Une addition salée qui s’explique par le fait que la 5G requiert l’installation d’un plus grand nombre de stations de base que la 4G, même si certaines stations 4G existantes pourront être reconverties en 5G. Il faut aussi tenir compte que chaque pays européen mène une politique indépendante en matière d’implantation de son réseau et fera appel à des opérateurs et des fournisseurs différents. Les économies d’échelle ne seront pas à l’ordre du jour. 

Or les opérateurs télécom n’ont pas les poches aussi garnies qu’on l’imagine. Ayant à subir une pression concurrentielle intense, leurs marges sont étroites. La 5G est certes prometteuse mais les profits à venir sont loin d’être assurés, comme le 4G l’a abondamment prouvé. Sans un sérieux coup de main des Etats et de l’UE, les opérateurs auront du mal à assurer le décollage de la 5G.  

De leur côté, frappés par la crise économique, les gouvernements ont d’autres chats à fouetter. Il n’est pas sûr que la 5G soit la priorité du moment. Certains Etat auraient même tendance à considérer les opérateurs comme des vaches à lait. En Italie et en Allemagne, les opérateurs ont dû débourser 6,5 milliards pour obtenir leurs premiers lots de fréquences. Un montant astronomique qui vaut maintenant aux deux Etats d’être poursuivis en justice par les opérateurs qui considèrent avoir été saignés à blanc. Forts de cette expérience, d’autres pays comme la Suisse ou la France ont modéré leur appétit en plafonnant les prix des fréquences afin de laisser aux opérateurs suffisamment de ressources pour construire leur réseau.  

Un intense lobbying américain contre les firmes chinoises 

L’affaire Huawei a encore compliqué la donne et gonflé les coûts d’implantation. Depuis deux ans les Américains mènent une campagne frénétique pour empêcher le camp occidental, en particulier les pays de l’Otan, de s’équiper en matériel chinois. Pour l’administration américaine, il est exclu qu’une infrastructure aussi critique qu’un réseau télécom puisse dépendre d’un équipementier ayant des liens étroits avec le régime de Pékin. Cela équivaudrait à inviter le loup dans la bergerie. Les Américains craignent que les deux firmes chinoises Huawei et ZTE soient en mesure de siphonner des données importantes via une porte dérobée, voire même de paralyser les réseaux en cas de conflit.  

La pression américaine commence à porter ses fruits. L’Australie ne fera pas appel aux firmes chinoises pour son réseau 5G et le gouvernement de Boris Johnson a décidé que les deux équipementiers chinois n’installeront pas les composants sensibles de l’infrastructure 5G britannique.  

En Belgique, Huawei et ZTE étaient bien placés pour décrocher des contrats d’installation auprès des opérateurs Proximus, Orange et Telenet mais entretemps, le Conseil national de sécurité a décidé de « limiter l’accès aux infrastructures 5G afin de les protéger ». Autrement dit, les trois opérateurs devront se rabattre sur les deux équipementiers européens Ericsson et Nokia pour bâtir la colonne vertébrale du réseau. Quant à la contribution des fournisseurs chinois pour les équipements moins sensibles, elle sera limitée à 35%. Les surcoûts de cette décision géopolitique seront sans doute répercutés sur la facture des abonnés bien qu’un tarif d’entrée trop élevé risquerait de les décourager.  

Une technologie qui suscite de nombreuses craintes  

D’autres vents contraires soufflent sur la 5G. En effet, cette technologie est très énergivore alors que les Etats sont de plus en plus sensibles à la question climatique. La 5G consomme trois fois plus d’énergie que la 4G, ce qui représente une hausse de 2% de la consommation totale d’un pays comme la France. Ceci sans compter l’énergie qui sera dépensée pour fabriquer les millions de serveurs et terminaux dédiés ainsi que pour faire tourner les data centers. D’après Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergétiques, le développement de la 5G va en sens inverse de la volonté des Etats de réduire l’empreinte climatique et de réaliser des économies d’énergie.  

S’ajoutent aussi les menaces sur la cybersécurité. La multiplication des points d’entrée et de sortie rendra le réseau plus vulnérable aux intrusions des hackers. L’utilisation de la bande de fréquences de 24-26GHz (les ondes millimétriques) pourrait perturber les satellites météorologiques. Aux Etats-Unis, cette fréquence était d’ailleurs jusqu’ici le domaine réservé des communications militaires et le Pentagone s’est vu contraint de la partager avec les communications civiles. 

Last but not least, la 5G suscite des inquiétudes au niveau de ses retombées sur la santé. Pour L’ICNIRP, l’organisme indépendant (reconnu par l’OMS) qui évalue les risques sur la santé, la 5G serait inoffensive. Cet organisme appelle cependant à la création de normes strictes pour le déploiement de la 5G dans la bande à haute fréquence, dite millimétrique, afin d’apaiser les craintes de la population. 

La plupart des experts estiment que les radiations non ionisantes n’engendrent que des effets thermiques sur les organismes. Au pire, elles élèvent la température de la peau. Mais d’autres experts pensent qu’il faut tenir compte des effets biologiques du rayonnement. L’intensité du champ électromagnétique ne doit pas être le seul paramètre à prendre en considération. Il convient d’évaluer également les effets des impulsions brèves et répétées que les organismes vivants seront amenés à subir, en particulier dans les environnements à haute densité d’antennes. Un appel récent signé par 180 scientifiques de 36 pays recommande de suspendre le déploiement de la 5G afin d’évaluer ses dangers potentiels pour la santé humaine et l’environnement.  

Un mouvement anti-5G s’est greffé sur ces inquiétudes et commence à prendre de l’ampleur. Il draine des centaines de milliers de sympathisants sur les réseaux sociaux où prolifèrent les fausses informations sur les dangers potentiels de la 5G. On y propage l’idée selon laquelle la 5G serait à l’origine du Covid-19 et d’autres affirmations délirantes. Facebook et Twitter ont décidé de réagir en effaçant ces messages. De leur côté, certains activistes n’ont pas hésité à passer à l’action violente. Début juin, on comptait déjà 142 attentats contre des pylônes, notamment aux Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Bref, la 5G n’a pas que des partisans. 

La Chine passe à la vitesse supérieure 

Comme on pouvait s’y attendre, la Chine a pris de l’avance dans la commercialisation de la 5G. Pour Xi Jinping, la maîtrise de la 5G constitue une étape indispensable pour faire de la Chine le leader incontesté des technologies de l’information et de l’intelligence artificielle. Contrairement aux Européens et aux Américains, la Chine s’est donnée les moyens de sa politique et n’a rien laissé au hasard. Ses deux équipementiers, Huawei et ZTE, ont bénéficié de subventions massives de la part de l’Etat chinois. On estime que celui-ci aurait injecté 75 milliards de dollars pour soutenir l’expansion internationale d’Huawei et favoriser sa pénétration sur les marchés étrangers grâce à une politique de prix très avantageuse.  

En Chine, le smartphone est un véritable canif suisse. Les Chinois s’en servent pour tout et notamment pour effectuer leurs paiements. Autant dire que la 5G, conçue pour accélérer et multiplier les connections, ne suscite aucune crainte chez eux. Bien au contraire. Bénéficier des fruits du progrès technologique prime sur tout le reste. Des millions de Chinois sont prêts à dépenser l’équivalent de 45 euros/mois pour accéder à la société du 1Gbit/s.  

Début juin, 250.000 stations de base étaient déjà installées dans une cinquantaine de villes chinoises et 60 millions de smartphones 5G étaient en circulation. Les opérateurs chinois ont même profité de la période de confinement pour accélérer l’implantation de leurs réseaux et proposer de nouvelles applications dédiées. Pour la fin de l’année, on estime que les quatre opérateurs nationaux, China Mobile, China Unicom, China Telecom et China Broadcasting Network, auront érigé 500.000 antennes. A titre de comparaison, l’UE a comme objectif 8.000 stations de base par opérateur et par pays en… 2024.

Bien sûr, la Chine compte beaucoup sur la 5G pour accentuer le contrôle de sa population. Dans les aéroports et les gares, la reconnaissance faciale sera instantanée. La récolte des données aussi. Non contente d’être l’atelier du monde, la Chine est le laboratoire de l’avenir. Pour le meilleur ou pour le pire.