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Le mauvais film de la dette italienne

Le gouvernement Conte a dévoilé son projet de budget pour l’année 2019. Le déficit prévu devrait atteindre 2,4% du PIB. Un chiffre inacceptable pour la Commission européenne.  De son côté, la coalition populiste au pouvoir refuse de céder. Elle entend tenir ses promesses de campagne. Un affrontement paraît inévitable. En attendant, les taux italiens s’envolent.

Depuis que le ministre des Finances Giovanni Tria a dévoilé son projet de budget pour 2019, le torchon brûle entre la Commission européenne et la coalition populiste au pouvoir, composée de La Ligue et du Mouvement 5 Etoiles (M5S). Objet du contentieux : les déficits prévus pour 2019 (2,4%), 2020 (2,1%) et 2021 (1,8%) ne respectent pas la discipline budgétaire des Etats de l’eurozone. « C’est en dehors des clous » a rétorqué Pierre Moscovici. « L’Italie ne respecte pas sa parole » a surenchéri Jean-Claude Juncker. En effet, le gouvernement précédent de centre-gauche avait tablé sur un déficit plus raisonnable de 0,8%.

La réponse italienne ne s’est pas fait attendre. « Nous ne reculerons pas d’un millimètre sur les 2,4% » a déclaré Luigi Di Maio, le chef du M5S. Pour ne pas être en reste, Matteo Salvini, le bouillant leader de La Ligue a déclaré quant à lui : « Le droit des Italiens à la santé, à l'emploi et à la retraite compte plus que les menaces européennes et les arguments des bureaucrates de l'UE ». Dans la foulée, il a traité Juncker d’alcoolique et a menacé de poursuivre en justice ceux qui menacent l’Italie. De son côté, Claudio Borghi, le spécialiste des questions économiques de La Ligue, a jeté encore un peu plus d’huile d’olives sur le feu en affirmant que « l’Italie réglerait la plupart de ses problèmes si elle avait sa propre monnaie nationale, et non pas l’euro ».

Il n’en fallait pas plus pour que les marchés s’enflamment. Les taux obligataires italiens à 10 ans ont bondi pour atteindre 3,71% (ils ont reculé un peu ensuite). Un plus haut depuis 4 1/2 ans. Et l’écart avec le Bund allemand dépasse désormais les 300 points de base. L’index FTSE-MIB de la bourse de Milan a perdu près de 6% la semaine dernière et 11% depuis 3 semaines.  Ce sont surtout les banques italiennes qui ont pris un bouillon. L’indice bancaire a perdu 17,8% en 15 jours.

 

Les observateurs neutres estiment que, plombée par une dette de 2,3 trillions d’euros et un ratio dette/PIB de 132%, - le plus élevé en Europe après la Grèce, - l’Italie joue un jeu très dangereux. Une politique budgétaire laxiste ne ferait qu’aggraver la situation. « On dirait qu’ils vivent sur la planète Mars » a déclaré un spécialiste. C’est une « stratégie suicidaire » a déploré un autre. Ces experts ne réalisent sans doute pas que la coalition au pouvoir est un véritable cheval de Troie souverainiste au cœur de l’Europe. Non seulement, cette équipe cherche à prendre ses distances avec Bruxelles mais elle espère inciter d’autres pays à changer les règles du jeu après les élections européennes post-Brexit de 2019. Comme l’a ouvertement déclaré Luigi Di Maio. « Dans six mois, il y aura des élections européennes et tout comme il y a eu un tremblement de terre politique en Italie le 4 mars dernier, il y aura un tremblement de terre politique lors des élections européennes de mai ».

Mariage à l’italienne

La coalition de La Ligue et du M5S est le résultat d’un mariage de raison mais c’est surtout une recette assurée pour creuser la dette publique. Car ces deux partis populistes, l’un très à droite, l’autre plutôt à gauche, ont prodigué sans compter des cadeaux à leurs électeurs. L’un pour redynamiser l’économie (via une baisse des impôts), l’autre pour protéger les laissés pour compte (via un revenu garanti).

La nouvelle loi de finances reprend l’essentiel de ces promesses. Certes La Ligue a dû provisoirement renoncer à sa « flat tax ». En revanche, plus d’un million de petits entrepreneurs bénéficieront d’un taux d’imposition réduit à 15%. Le M5S a obtenu satisfaction sur son principal engagement : 6,5 millions d’Italiens bénéficieront donc d’un revenu citoyen de 780 euros/mois pendant 2 ans pour compenser leur perte d’emploi. La très impopulaire loi Fornero repoussant l’âge de la retraite à 67 ans a également été modifiée. La nouvelle loi sur les retraites, basée sur un calcul différent, permettra à 400.000 Italiens de toucher leur pension plus tôt.  Autre décision coûteuse : la hausse de la TVA prévue dans le précédent budget sera annulée.

Chacun se demandait comment la nouvelle coalition allait financer son train de réformes estimé à 100 milliards. Maintenant, on sait que c’est en creusant le déficit, au risque d’aller au clash avec Bruxelles. Le gouvernement italien défend sa politique expansionniste en tablant sur un rebond de la croissance, celle-ci assurant en retour une augmentation des rentrées fiscales. « La dette baissera grâce à la croissance économique inattendue » a déclaré Luigi Di Maio.

Les experts, quant à eux, sont dubitatifs. Le FMI ne prévoit qu’une maigre croissance de 1% en 2019 (contre 1,4% en 2018). Les fondamentaux de l’Italie ne plaident pas en sa faveur : faible productivité, taux de chômage important, surtout parmi les jeunes de moins de 25 ans (31%), secteur public enclavé, bureaucratie tatillonne, économie parallèle. La hausse des taux d’intérêt risque d’être un fardeau supplémentaire pour l’Etat qui doit se refinancer à hauteur de 280 milliards en 2019 et doit supporter une charge de la dette toujours plus importante. Elle risque aussi d’être préjudiciable pour les banques italiennes, qui possèdent de grandes quantités d’obligations d’Etat et seront fragilisées si celles-ci subissent une décote. Elles réfléchiront à deux fois avant d’accorder des prêts. Bref, le gouvernement Conte, qui espère enclencher un cercle vertueux risque au contraire, de s’enfoncer dans une spirale dangereuse.

L’aventura

Risque-t-on de voir se reproduire un jour une répétition de la crise grecque mais en dix fois plus fort ? L’Italie peut-elle entraîner les autres pays de la zone euro dans sa chute ? Et quels sont les coupe-feux dont dispose l’Europe pour prévenir une crise majeure? 

Si une crise a lieu, il est certain que le moment serait mal choisi. La BCE détient dans ses coffres 341 milliards d’euros de bons du Trésor italiens (chiffre d’avril 2018), dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif. Ces achats, qui s’élèvent à 2,4 trillions pour l’ensemble des pays de la zone euro, ont permis de réduire la prime de risque sur les taux obligataires. Or la BCE a annoncé qu’elle allait mettre fin à ce programme d’achat à la fin de l’année. L’Italie ne pourrait donc plus bénéficier de ce matelas protecteur.

En cas d’insolvabilité (d’incapacité de remboursement de ses créances), l’Italie pourrait toujours faire appel au Mécanisme européen de stabilité (MES) ainsi qu’au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ces instruments ont été conçus pour soutenir financièrement un Etat en difficulté, soit en octroyant des prêts, soit en rachetant des obligations. Mais pour en bénéficier, l’Italie devrait accepter un plan de restructuration drastique semblable à celui qu’a subi la Grèce. Or, la coalition populiste en place serait loin d’être aussi accommodante qu’Alexis Tsipras et préfèrerait encore sortir de la zone euro plutôt que d’accepter une aide assortie de conditions aussi impitoyables. Facteur aggravant, il n’est même pas sûr que les moyens dont disposent ces fonds d’urgence suffiraient à renflouer un Etat italien au bord de la faillite. Resterait alors à faire appel à un bailleur de fonds extérieur aux poches bien pleines, comme la Chine ou les Emirats.

La menace ne concerne pas seulement la solvabilité de l’Etat mais celle du secteur bancaire tout entier, encore très fragile avec ses 11% d’emprunts non-performants. En effet, 2/3 de la dette souveraine italienne sont détenus par les Italiens eux-mêmes, institutions et particuliers. Les bons du Trésor représenteraient 20% des actifs des banques italiennes. Une décote importante de ces obligations aurait des répercussions négatives sur la solvabilité des banques. Et cela vaut aussi pour certaines banques étrangères, notamment françaises et espagnoles.

Pour l’instant, les agences Moody’s, Fitch et S&P ont noté le papier italien deux crans au dessus de la catégorie « junk » (Baa2 ou BBB) et l’ont placé sous surveillance. Et l’on attend une nouvelle note de Moody’s pour le 30 octobre.

E la nave va !

Parce que l’Italie est « too big to fail », il est probable que le gouvernement Conte et la Commission européenne parviendront à un compromis avant la date butoir du 30 novembre. Le budget italien doit également être approuvé par le Parlement italien et notamment par le Sénat où la coalition actuelle ne bénéficie que d’une petite majorité de 6 sièges. Enfin, le Président Sergio Mattarella peut s’opposer au budget s’il considère que celui-ci est anticonstitutionnel, ainsi qu’il l’a déjà laissé entendre à mots couverts : « La Constitution italienne, notre Constitution, en son article 97 dispose qu'il faut assurer un équilibre budgétaire et la viabilité de la dette publique ».

Reste à savoir qui du gouvernement italien ou de l’Europe, cédera le premier dans ce bras de fer. A l’heure où l’on se dirige lentement mais sûrement vers un no-deal Brexit, la Commission européenne finira sans doute par se montrer accommodante. Elle ne peut pas se permettre d’avoir deux énormes crises sur le dos. Mais comme toujours, ce sont les marchés qui auront le dernier mot. Et le scénario italien, avec sa dette qui ne cesse de gonfler, n’aura pas une fin heureuse.